
Acteur majeur de l’histoire de la France, Adolphe Thiers demeure le grand absent de l’historiographie des libéraux, et plus généralement, de la pensée politique du XIXe siècle. À la différence de Tocqueville, Constant ou Guizot, Thiers est resté dans l’ombre, ignoré, boudé, voire éconduit, et aujourd’hui encore, la seule mention de son nom suscite la controverse. En suivant les vicissitudes d’une vie politique longue de plus de cinquante ans, cet ouvrage essaie de comprendre pourquoi et, sans réhabiliter « le boucher » de la Commune, il vise à éclairer ce qui se joue, dans la carrière de ce Machiavel du XIXe siècle, des contradictions de notre modernité politique. Jeter un nouveau regard sur l’homme de la contingence et du pouvoir, c’est mettre en évidence l’interpénétration constante des idées et de la pratique au sein du jeu politique. En revenant sur Adolphe Thiers, l’homme d’action par excellence, ce livre entend donc esquisser une histoire pragmatique du politique, lui-même inséparable d’une histoire de ses usages.
La Révolution de 89, en proclamant l’égalité de tous les Français, a fait de la vieille France une France nouvelle. A la place de ces provinces, de ces classes, de ces corporations diverses, dont chacune avait ses priviléges et qui formaient autant de nations dans la nation, l’égalité a substitué une nation unique dont tous les éléments sont soumis à la loi commune. L’égalité devant la loi ; tel est donc le principe vital de la France nouvelle, comme le régime du privilége était celui de l’ancienne France. Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.
Ce premier volume va de Monsieur Thiers au président Loubet, heureux gendre du quincaillier Picard, de Valence dans la Drôme. Il dépeint la république de 1900 avec ses banquets plantureux, ses batailles politiques homériques, ses crises violentes qui mettent les présidents à rude épreuve, les affaires Boulanger, Dreyfus, du canal de Panama et Schnaebelé. Le calme Grévy doit affronter l’impétueux général Boulanger et le doux Loubet faire face à la séparation de l’Église et de l’État. C’est lui qui refuse de porter à la cour d’Angleterre la culotte à la française, ce qui fait dire au prince de Galles qu’il n’est pas étonnant que les Français refusent la culotte, étant eux-mêmes et définitivement des sans-culottes. La République n’est pas évidente au temps de Thiers et de Mac-Mahon : le petit ministre au toupet en bataille, qui conclut la paix avec Bismark et réprime la Commune, installe un régime provisoire dont s’accommode mal le bon Mac-Mahon, qui a fait presque toute sa carrière en Algérie. Pourtant, tous deux s’efforceront successivement de fonder le régime « qui divise le moins les Français ». Les présidents de la...
Pourquoi Thiers ? Pourquoi une biographie de l’homme qui reste dans les mémoires comme le sinistre fossoyeur de la Commune ? Pourquoi raconter la vie de ce Monsieur Prud’homme, emblème de la bourgeoisie conquérante et sûre d’elle ? À cause de tout cela – et aussi parce que Thiers, dont Balzac s’inspira pour créer son Rastignac, est un incroyable personnage de roman. Car Thiers, c’est aussi : un enfant du peuple, abandonné par son père escroc, qui, grâce à son ambition et son travail, deviendra chef de l’État. Un provincial monté à Paris, qui séduit par son intelligence les salons et, en premier lieu, le superbe Talleyrand. Un journaliste touche-à-tout qui, à peine arrivé à Paris, découvre le génie de Delacroix, ébranle la Restauration en théorisant, dans le journal qu’il a créé, le système parlementaire et participe au plus haut niveau à la révolution de Juillet 1830. C’est aussi un politicien taxé d’opportunisme, mais qui n’a jamais rallié le Second Empire, dont il prévoit, fustigeant à la Chambre la politique étrangère de Napoléon III, la terrible chute. C’est le diplomate qui, à soixante-treize ans, parcourt l’Europe...