
Pierre Mazeaud est un empêcheur de politiser en rond. Ses adversaires, qui se risquent rarement à l’affronter directement, tant ils craignent ses reparties cinglantes et ses arguments affûtés, le décrivent volontiers comme un chahuteur de l’hémicycle. Histoire de minimiser la portée de propos souvent iconoclastes, mais presque toujours pertinents. Si ceux de ses collègues qui ne l’apprécient guère venaient à l’Assemblée nationale en dehors de la séance des questions d’actualité du mercredi après-midi, quand ils espèrent montrer leur tête aux électeurs de leur circonscription, ils connaîtraient pourtant un autre Mazeaud. Juriste de première force, législateur infatigable. Pierre Mazeaud dérange. Par goût. Héritier d’une prestigieuse lignée de professeurs de droit et de hauts magistrats, ne fut-il pas tenté par l’anarchisme ? Mais il a finalement choisi le gaullisme. Ce qui n’est pas un reniement de ses penchants adolescents. Pierre Mazeaud dit à haute voix des vérités que l’on ne proclame pas sans dommage au sein d’un microcosme conformiste à l’excès. Il a demandé la suppression du département. La disparition du Sénat ne lui...
Qu’est-ce qu’un notable colonial ? Quels sont ces Français qui, sous l’égide de l’administration, exercèrent leur influence dans les protectorats tunisien et marocain jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale ? Comment caractériser et éclairer les rapports de force et de pouvoir qui se nouèrent, de la fin du XIXe siècle à la fin des années 1930, entre une communauté expatriée et une administration d’importation à l’intérieur d’un espace touché par l’expansion coloniale ? Élus ou désignés, citadins ou ruraux, des Français s’impliquèrent dans la vie publique et la gestion économique de la Tunisie et du Maroc. Ils étaient propriétaires agricoles, avocats, entrepreneurs, journalistes ou négociants ; autour des Résidents et des fonctionnaires coloniaux, ils constituèrent un pilier incontournable du système colonial. Pour dessiner les contours de ces figures disparues, David Lambert explore les dimensions du concept de notable, qu’il construit sans s’interdire ni intrusions fécondes dans le champ des sciences humaines ni parallèles avec d’autres périodes historiques. Il parcourt ensuite les archives françaises, tunisiennes...
Qui a pu être assez fou pour avoir eu, un jour, l’idée de faire de la musique avec de l’électricité ? Et comment est-ce possible d’ailleurs ? Qui se cache derrière ces instruments loufoques, ancêtres des pianos numériques actuels, ces immenses orgues criblés de fils électriques ou ces claviers surréalistes aux notes futuristes, dont les noms insensés - télégraphe harmonique, théâtrophone, Telharmonium, Audion Piano, Ondes Musicales, Orgue B3, Clavivox ou Polymoog - disent déjà la folie ? Des amoureux du son, très certainement, mais surtout d’immenses inventeurs. Ils s’appellent Edison, Cahill, Martenot, Mathews, Moog ou encore Zinovieff et Kakehashi, ils sont américains, anglais, français, russes ou japonais, et ils ont en commun un esprit insatiablement curieux et créatif, un amour des circuits électriques et des notes harmoniques, et une vision révolutionnaire de la musique. Successivement, ensemble et parfois en s’opposant, ils vont changer le visage du son en nous faisant passer, en près d’un siècle et demi, du piano acoustique aux bijoux technologiques d’aujourd’hui. De 1870 à nos jours et du premier microphone au dernier...
Il y a quelques années, je sortais dans la rue avec une étoile de David autour du cou. J'étais fière de m'appeler Esther Vidal et je ne baissais pas la voix pour dire mon nom. Nous n'étions pas en danger dans la ville. Ni agressées à la sortie de l'école, de la synagogue, ou chez soi. Traiter quelqu'un de « sale juif » était un tabou. Je ne pensais pas qu'il pût y avoir dans Paris des manifestations contre les juifs. A vrai dire, je n'aurais même pas imaginé que l'on puisse entendre, lors d'une manifestation : « A mort les juifs. » Une jeune femme, deux enfants, deux amours. La peur, le désir, l'espoir, la tentation de quitter la France et de faire son « alyah ».
En bien des domaines, l'" amabilité " du XVIIIe siècle relève un peu du mythe, car à la façade brillante des Lumières répond un envers du décor surprenant de dureté et d'âpreté. Le roi lui-même en fut victime: s'il a le plus souvent choisi de grands ministres, s'il a pu garder à la France son rôle d'arbitre européen, s'il a voulu, et dans l'ensemble a su, assurer le bonheur de ses peuples, Louis XV _ l'un des souverains les plus intelligents, les plus artistes, les plus cultivés, les mieux informés que nous ayons connus _ a échoué à pacifier les esprits et à sauver l'Etat de la paralysie. Fêté dans les premières années de son règne comme un véritable prince charmant, le Bien-Aimé a vite dû se résigner à régner sous les clameurs d'une opinion manipulée par quelques groupes de pression, essentiellement des jansénistes et ces " Messieurs des parlements " (c'étaient d'ailleurs les mêmes). Dans cette lutte acharnée, il eût fallu à Louis XV l'habileté d'Henri IV, la brutalité de Richelieu, l'orgueil de Louis XIV _ ou même les trois à la fois! Or, bien qu'il les égalât au moins par l'intelligence, Louis XV était un homme secret, solitaire,...
«Douze février. On peut ruiner sa vie en moins de dix secondes. Je le sais. Je viens de le faire. Là, juste à l'instant. J'arrive à la porte de l'immeuble, une modeste baguette dans la main et la modeste monnaie dans l'autre, quand Merveille-Sans-Nom surgit devant moi. Inopinément. À moins de cinq centimètres (il est en train de sortir et je m'apprête à entrer, pour un peu on s'explose le crâne, front contre front). Il pose sereinement sur moi ses yeux sublimes. Je baisse les miens illico, autant dire que je les jette quasiment sous terre, bien profond, entre la conduite d'égoût et le tuyau du gaz. Sa voix amicale résonne dans l'air du soir : - Tiens ! Aurore ! Tu vas bien ? Je reste la bouche ouverte pendant environ deux millions de secondes, avant de me décider et lui hurler à la figure : - Voua ! Merdi !»
C’est un bâtiment austère, à l’arrière du Jardin des Plantes de Paris, qui recèle secrets et merveilles : huit millions de plantes séchées, trois cent cinquante ans de cueillette et pressage, fruits d’une course folle nourrie par l’appétit des explorateurs et conquérants lancés à corps perdus, dans le défrichage d’une nature vaste, alors riche et méconnue. Bienvenue dans le plus grand herbier du monde – où tout bruisse, vit, témoigne... Où l’on apprendra que les plantes prennent leur temps et exigent attention. Marc Jeanson le sait, qui dans l’enfance se passionnait pour les animaux, jusqu’à ce qu’une bouture, oubliée sur un coin de fenêtre, ne germe à son insu... Quelques années plus tard, un voyage au Sénégal où il découvre la splendeur des palmiers, vient conforter sa vocation. Etre botaniste, c’est aimer le terrain, la boue, les nuages. Et l’inconnu : ceux qui ont donné leur nom aux plantes, les ont découvertes et classifiées, et ont élevé au rang de science le plaisir du vagabondage... au péril de leur vie, parfois. C’est à ces inventeurs de plantes, que Marc Jeanson, aujourd’hui responsable de l’Herbier, rend ici...
ŤIl sentait sa propre vie sortir de lui, il sentait la vie de son frčre sortir du corps de son frčre comme si en męme temps quil était lui-męme, il était aussi son frčre, tous deux merveilleusement vides, non vivants mais non morts, tenant leurs vies en laisse. Fumerolles légčres de męme nature et pleines de courbes, leurs vies emplissaient la voiture, elles en débordaient débordement qui le ravissait car il signifiait que lui oui lui recelait tant de vie quelle pouvait excéder les limites de son corps, excéder les limites dune voiture, excéder les limites de son monde limité, les bornes du monde quil pouvait voir et ressentir pour fluer paisiblement et comme normalement vers partout, vers ce quil ne connaissait pas, vers ce quil ne soupçonnait pas et qui nexistait pas , elles se répandaient sur la route, elles envahissaient la campagne, entraient dans les granges et les maisons oů on les prenait pour de la vulgaire brume, elles sinfiltraient dans la terre, elles y disparaissaient et il ralentissait, il se garait devant linstitution, ils étaient arrivés. Ils traversaient le jardin lun derričre lautre. Le jour, ce jardin était une splendeur de buis taillés. ...