Pour lutter contre la torture, la dénonciation des violences infligées ne suffit pas. Il faut aider les survivants à retrouver une vie " normale ". Cela suppose, comme le montre Françoise Sironi, de pénétrer dans le monde mental des tortionnaires. Comment influence-t-on quelqu’un au point de le pousser à avouer, à révéler des informations, à trahir ? La violence physique n’explique pas tout. Quels sont donc les mécanismes psychologiques mis en œuvre par les tortionnaires ? Surtout, comment fabrique-t-on des bourreaux, comment place-t-on certaines personnes en position d’exercer de telles pressions ? Françoise Sironi est maître de conférences en psychologie clinique et en psychopathologie à l’université Paris-VIII. Elle a co-fondé le Centre Primo-Levi, spécialisé dans le soin des victimes de torture et de violences collectives. Elle est directrice du Centre d’ethnopsychiatrie Georges- Devereux, à l’université Paris-VIII.
Cet essai attire notre attention sur l’apparition, sur la scène artistique, littéraire et médiatique, de la figure mi-sublime mi-pathétique du bourreau gentilhomme, pris au piège des circonstances, sorte de meurtrier malgré lui. En effet, partant de l’idée que les auteurs de crimes de masse ne sont pas des monstres mais des « hommes ordinaires », nombre d’auteurs travaillent à faire d’eux des victimes (de leur nature humaine, trop humaine), mais aussi des surhommes — plus cultivés, plus intelligents, plus moraux que la moyenne. Et ça plaît : par l’intermédiaire de ces œuvres à succès, lecteurs et spectateurs se prennent à rêver à leur propre potentiel de destruction massive... En se basant sur l’analyse d’une quinzaine d’ouvrages récents (romans, essais, pièces de théâtre, films), Charlotte Lacoste enquête sur les formes que revêt cette revalorisation de la figure du meurtrier de masse, et analyse les présupposés idéologiques des œuvres qui le mettent en scène.
Prix Nobel de littérature en 1981, l'écrivain britannique William Golding (1911-1993) n'a cessé de consacrer l'écriture à un devoir d'énonciation qui, aux symboles factices ou exténués de son époque, oppose l'acte littéraire comme " signature gribouillée dans l'âme humaine ". La parole en dérive, c'est celle qu'il dénonce dans ses récits et nouvelles, condamnée à déchoir depuis que la claire parole des pères s'est dédite dans le bavardage ou la menace. Parole errante, aporétique en ce qu'elle condamne le récit au silence ou à la contradiction, tout en s'efforçant en vain de recouvrer une vocation métaphysique abjurée, ou d'entretenir le fantasme d'une langue innocente des origines. Mais c'est aussi la parole heureuse de l'écrivain lorsqu'elle invite au rachat de la langue dans ses flottements mêmes, lorsque ces égarements la font prétendre à un dire prophétique et poétique.
Ils sont de grands oubliés, représentent un non-dit au cœur du tabou de la violence conjugale : les hommes battus. Leur parole est souvent tournée en dérision, niée. Pourtant, le phénomène est malheureusement bien réel. En moyenne, un homme décède tous les treize jours sous les coups de sa compagne. Des victimes incomprises, parfois jugées, moquées, voire méprisées dans une société patriarcale valorisant encore une certaine forme de virilité. Maxime Gaget connaît bien cette solitude, ce désarroi face à une brutalité méconnue et ignorée. Pendant dix-sept mois, il supporte les frappes, les insultes, les actes de pure barbarie de Nadia, celle qui prétend l'aimer. Manipulatrice, avide d'argent, la jeune femme, transformée en bourreau, parvient sournoisement à s'accaparer ses moyens de paiement. Elle lui fait subir les pires sévices : sel dans les yeux, douches froides, brûlures... Lui interdit l'accès à la salle de bain et aux toilettes, l'oblige à dormir à même le sol, filtre ses messages et le coupe de son entourage... Maxime, qui n'est plus que l'ombre de lui-même, devient son esclave. Trop honteux pour demander de l'aide, il se mure dans le...
"Jubilé du soixante-quinzième anniversaire. Paris et Noyon, 8-10 juillet 1927": v. 76, 1927, p. [305]-389.
La publication des Bienveillantes de Jonathan Littell (2006) a projeté sur l’avant-plan la figure inquiétante du « salaud » (ou du « monstre », ou du « bourreau ») prenant la parole. Cette figure n’est pas inédite. Au début des années cinquante, Robert Merle avait déjà octroyé le monopole narratif au monstre par excellence que fut Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz. Même un Jean-Paul Sartre, dans une nouvelle célèbre parue en 1939, avait fait parler l’infâme. D’autres écrivains, à diverses époques et issus d’aires linguistiques différentes, n’ont pas hésité à mettre en place des dispositifs énonciatifs comparables, tels Jorge-Luis Borges, Alberto Moravia, Edgar Hilsenrath, Harry Mulisch ou Roberto Bolaño, parmi d’autres. Le présent volume s’interroge sur les stratégies d’interprétation que le lecteur peut mettre en œuvre face à ces prises de paroles dérangeantes. Qu’est-ce que l’abjection et comment lutter contre elle?
Au carrefour des paroles, des écritures et du spectacle, Pascal Bastien entend expliquer les rituels de l’exécution dans le Paris du xviiie siècle: bourreaux, condamnés, greffiers et confesseurs partagèrent et échangèrent, avec la foule et les magistrats, un «savoir-dire» du droit qu’on aurait tort de réduire trop simplement à la potence ou au bûcher. Hors des tribunaux, où la procédure était tenue secrète jusqu’au droit révolutionnaire, l’exécution publique fut un moyen de communiquer le droit par une mise en mots et en images du verdict. Elle fut aussi un instrument dynamique et efficace du lien social entre l’État royal et ses sujets; de fait, la peine devint au XVIIIe siècle l’espace et l’instant d’un nouveau jugement, celui des justiciables à l’égard de leur justice. Plus que le châtiment à proprement parler, il s’agit ici de reconstituer et d’analyser les différentes articulations du spectacle de la peine à Paris au xviiie siècle.
Les Remarques sur la langue françoise de Claude Favre de Vaugelas ne constituent en apparence qu'un recueil décousu d'observations sur des faits de langue isolés ; mais en réalité, elles nous révèlent l'attitude linguistique et, au-delà, l'idéologie socioculturelle de la classe dominante de la France du XVIIe siècle. Au centre de cette idéologie se trouve la notion d'"honnête homme" : oisif, vivant dans un monde fermé, et soumis à un code rigoureux de "bienséances" dont fait partie l'art de s'exprimer. Cet art, que Vaugelas l'appelle "le bon usage", implique la prédominance de la langue parlée sur la langue écrite, la rupture avec la tradition littéraire et le refus de la variation synchronique. Première édition critique de ce livre fondateur de la norme du français, le présent ouvrage offre, à côté du texte de l'édition originale de 1647, la version manuscrite antérieure qui en diffère fortement, ainsi que des commentaires détaillés comprenant de nombreuses citations de la littérature de l'époque. Il permet ainsi de suivre l'évolution des idées de l'auteur et de confronter ses opinions avec la langue réelle.
Ce premier colloque de l’Equipe Formes et idées de la Renaissance aux Lumières explore les genres littéraires fixant la mémoire d’une histoire longue et traumatique, celle des guerres de religion, en ce qu’elle marquera inéluctablement la réflexion politique et religieuse des siècles suivants. Les contributions réunies par Marie-Madeleine Fragonard et Jacques Berchtold suivent le récit qui est fait des guerres de religion jusqu’à la fin du XVIIIe siècle par l’histoire officielle et les échos pamphlétaires qu’elle produit, par la recherche érudite et la compilation des mémoires, par la fiction romanesque et le travestissement du grand genre épique jusqu’à la Henriade. Elles dégagent une littérature aux formes concurrentielles qui, hésitant entre l’horreur et l’euphémisation, réitère, en marge des témoignages immédiats et des documents authentiques, le récit des événements à l’intention d’un public diversement soucieux d’objectivité.